Guerre de six jours à Kisangani : 21 ans après, le DG du Télégramme du Congo, le rescapé Joseph Lounda témoigne !
Par devoir de mémoire, Monsieur Joseph Lounda Bwasola, Editeur et Directeur Général de l’hebdomadaire Le Télégramme du Congo et du site d’actualité telegrammeducongo.net étant lui-même l’un des rescapés de la tragédie de la guerre de six jours à Kisangani se fait le devoir de rappeler dans ses colonnes chaque mois de juin ce drame pour la consommation des générations présentes et futures, pour qu’il ne soit pas effacé des mémoires des Boyomais en particulier et des Congolais en général.
Six jours et six nuits d’affilée et sans répit, soit du lundi 05 au samedi 10 juin 2000, les armées régulières rwandaise et ougandaise s’étaient farouchement battues en pleine ville de Kisangani, chef-lieu de l’ex-province Orientale.
Dans cet hostilité sans merci, les deux belligérants, l’Armée Patriotique Rwandais (APR) qui soutenait le mouvement rebelle du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), et Uganda People’s Defense Force (UPDF) qui soutenait la rebellion du Mouvement de Libération du Congo (MLC) avaient fait usage d’arsenaux militaires les plus sophistiqués qu’ils détenaient.
C’était aux temps forts des rébellions qui sévissaient à l’Est de la RD Congo. Chacune de ces deux armées avait comme objectif d’anéantir l’autre et avoir l’imperium de la ville stratégique de Kisangani.

Sans ménagement aucun, selon les experts, ces deux armées avaient largué plus de 6.600 bombes sur la ville de Kisangani. Grâce au Bon Dieu, bon nombre de ces engins de la mort avaient échoué dans le fleuve Congo et la rivière Tshopo.
Témoignage de Joseph Lounda Bwasola
“Comme si c’était hier, je me souviens encore parfaitetaiment du lundi 05 juin 2000 à 09h45′. C’était le jour où mes collègues et moi ont failli être emportés précocement vers l’au-delà suite à un obus tiré par l’armée ougandaise qui avait fini sa course à notre école, l’Institut Lisanga situé sur la 17ème avenue dans la commune Tshopo.
Hormis l’élève Francis Mambani qui était mort sur place, paix à son âme, il y avait plusieurs blessés graves parmi les élèves et enseignants dont moi-même, Joseph Lounda Bwasola, Benoît Kanasunge Paye, Ridy Giuba, Crispin Mofilinga, Béatrice Lisimo, Génie Mukulangando, Posho Lomela, Aendo Biselenge, Daddy Basaki, Zaïna, Patient Lofalata, Justin Baseko (mort à 2008, paix à son âme), le professeur Ezenge Lisama (mort au mois d’avril 2021, paix à son âme) et tant d’autres.
Nous saluons la bravoure du feu Directeur des Études Kapepula (mort à 2014) et du feu préfet Batiale (mort à 2018), paix à leurs âmes, qui, malgré le crépitement des balles et des tirs des projectiles, ne ménageaient aucun effort pour apporter secours et assistance aux blessés. Que le personnel du centre de santé CNCA de 19ème avenue Tshopo et les médecins et infirmiers de l’hôpital général des référence de Kisangani trouvent ici notre gratitude, sans oublier ceux qui nous ont assisté d’une manière ou d’une autre”, conclu le DG du Télégramme du Congo, le rescapé Joseph Lounda Bwasola.
Des victimes innoncentes
Le bilan de ces affrontements sans merci de deux armées étrangères sur un territoire étranger, une première au monde, à plus de 1000 Km de leur frontière commune était estimé à plus de 2000 morts civils ramassés et enterrés au cimetière dit de la Croix-Rouge, derrière l’Hôpital général de référence de Makiso-Kisangani, par les volontaires de la Croix-Rouge de la République Démocratique du Congo (CRRDC ) avec l’appui logistique et financier du Comité International de la Croix-Rouge (CICR). Encore faudra-t-il ajouter à ce bilan macabre des milliers de sans-abris, des blessés, d’amputés suite aux éclats d’obus, de traumatisés, etc.
Des milliers d’autres personnes étaient bloquées ailleurs pendant ces 6 jours et 6 nuits de combats, ayant été dans l’impossibilité de regagner leurs domiciles. D’autres s’étaient déplacées pour se réfugier à la périphérie de Kisangani. Pour ceux qui connaissent cette ville, les localités suivantes avaient accueilli des marées humaines inhabituelles : Mongbwamboli, Mapiopio, Kandangwa, Ngene-Ngene Mosolo, Masindula, Batiamaduka, Madula, Batikaile, Bandu, Kpangobi, Otobio, Lula, Ngene-Ngene, Lokata, Maboke, Kubagu, Gbado, Masengo, Osio 12, Osio 16, Osio 21, Batiayofe, Bagwasende, Isange Makutano, etc. Certaines familles avaient même regagné leurs villages d’origine à pied ou en pirogue.
60% des victimes humaines et dégâts matériels étaient recensés dans la commune de la Tshopo et dans le quartier Plateau Boyoma de la commune de Makiso où s’étaient concentrées les hostilités.
Comme pour se moquer de ce millier de morts innocents, une autorité politique du RCD/Goma de l’époque avait minimisé le volume de sang versé en le comparant à celui d’un simple ruisseau tout en promettant que prochainement on assistera à un spectacle de volume de sang digne de l’étendue d’un océan.
Soulignons que le cimentière de la Croix-Rouge avait été inauguré par le maire RCD de Kisangani, feu M. Willarmy Tchoko Lisungi Bolamba, en présence du chef de la Sous-Délégation du CICR-Kisangani, M. Alexandre Liebeskind et de plusieurs autres invités.

Les aveugles avaient finalement vu
La Communauté internationale qui ne disposait que de quelque trois observateurs de la MONUC (Mission d’Observation des Nations Unies au Congo) sur place ne disait mot sur ces atrocités des Rwandais et des Ougandais sur la population innocente congolaise martyrisée à Kisangani.
Il avait fallu l’article de la Belge Collette Brackman dans le journal Le Soir que la guerre avait surprise à Kisangani pour entendre enfin un témoignage sérieux sur ce drame : « Kisangani, un cimetière oublié par la Communauté internationale ». Dans son article consacré à cet événement, elle avait dénoncé sans complaisance l’agression de la RD Congo par ses voisins le Rwanda et l’Ouganda. Ainsi, la Résolution 1304 avait-elle été adoptée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies exigeant la démilitarisation de la ville de Kisangani.
Occasion pour le Président congolais Laurent-Désiré Kabila (dont nous saluons la mémoire) de se réjouir avec ironie : « Cette fois, même les aveugles ont vu ». Dans la mesure où cette même Communauté internationale refusait de reconnaitre officiellement que la RD Congo, à partir de la rébellion du RCD déclenchée le 02 août 1998, était agressée par ses deux voisins de l’Est.
D’ailleurs, ayant compris que le mouvement politico-militaire dit de rectification parrainé par le Rwanda couvrait plutôt une agression, son premier chef, le Professeur Z’haidi Arthur Ngoma (paix à son âme) avait claqué la porte en déclarant : « La rébellion a échappé aux Congolais ».

Appui significatif des Ong
A la suite de cette guerre de 6 jours et à plusieurs autres qui l’avaient précédée (guerres de 2 jours, 1 jour, 3 jours), des organisations non gouvernementales (ONG) et structures médicales locales et nationales étaient chargées de la prise en charge médicale, psychologique, en vivres et non-vivres des victimes. Elles avaient bénéficié de l’appui des organismes internationaux tels que l’UNICEF, l’OMS, le PNUD, la FAO, le PAM, le MSF, etc.
Le CICR avait, lui, distribué des non-vivres aux familles touchées par les affrontements (seaux, bâches, couvertures, ustensiles de cuisine…). Cette organisation humanitaire neutre, impartiale et indépendante avait aussi dépêché un médecin de guerre de Genève (Suisse) et doté les Hôpitaux de référence des médicaments.
A l’occasion du 15ème anniversaire de la guerre de 6 jours en juin 2015, la Coalition Internationale pour la Justice Transitionnelle (ICTJ en anglais), en collaboration avec les ONGDH locales, a produit un travail de terrain. Plus de 2.200 victimes directes et indirectes ont été répertoriées. Elaboré, le document y afférent a été remis aux autorités urbaines et provinciales afin de leur permettre de mener un plaidoyer à différents échelons.

A quand l’indemnisation ?
Accusé par la RD Congo à la Cour Internationale de Justice de la Haye (CIJ), aux Pays –Bas pour violation de son territoire et pillage de ses ressources naturelles (le Rwanda ne reconnait pas la compétence de cette juridiction), l’Ouganda a perdu le procès. Le pays de Museveni a été condamné au paiement des dommages et intérêts de dix milliards de dollars américains (USD 10.000.000.000).
En l’absence d’une pression soutenue de la part du pays victime, ce dossier fait du surplace. Pendant ce temps, des milliers de victimes de cette barbarie humaine causée par deux pays étrangers y compris la ville de Kisangani attendent toujours réparations.
Il y a quelques années, la MONUSCO, dans le cadre d’un volet de son mandant, avait doté le Fonds de Solidarité des Victimes des Guerres de Kisangani (FSVGK) de kits informatiques.
A la veille de la démission du Premier Ministre Sylvestre Ilunkamba, une somme de 500.000$ a eté débloquée par le gouvernement de la république en faveur des victimes de cette atrocité. Selon l’information en notre possession, près de 200.000 $ était détourné et seulement quelques victimes répertoriées sur la liste de l’association ont reçu à chacun un montant dérisoire de 150$.
Hommage aux ONGDH
Depuis la fin de la guerre de 6 jours le 10 juin 2000, la Nation congolaise n’y fait aucune référence. A Kisangani, seules les Organisations de défense des droits de l’homme (ONGDH) qui, à chaque anniversaire de cette guerre devenue tristement célèbre, évoquent ce drame à travers les communiqués de presse, points et conférences de presse, messes d’action de grâce, exposés, expositions-photos… Il s’agit du Groupe Lotus, les Amis de Nelson Mandela (ANMDH), du Groupe Justice et Libération (GJL), du Groupe Lufalanga, de Congo en Images (CIM) ICTJ, etc.
Du samedi 05 au jeudi 10 juin 2021, c’est la semaine du 21ème anniversaire de la guerre de six (6) jours de Kisangani.
Dans un pays soucieux de sa population, cette semaine serait marquée par de nombreuses cérémonies pour faire pression sur le gouvernement de la République pour le pousser à faire à son tour sur son homologue ougandais afin de le contraindre à exécuter l’Arrêt de la Cour Internationale de Justice.
À cette occasion, les ONG et associations des victimes ont organisé une messe d’action de grâce ce samedi 05 juin 2021 à l’institut de Kisangani et le dépôt des gerbes des fleurs est prévu cet après-midi au cimetière de la Croix-Rouge, derrière l’Hôpital général de référence de Kisangani où reposent des milliers des victimes innoncentes de cette atrocité.
Par Espérance Esenge du Télégramme du Congo avec le soutien de GIRIS de Kisangani News